Nous attendions une grande loi sur la santé mentale, centrée sur la prise en charge du malade...

Publié le par Fédération PRG de Charente-Maritime

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Anne-Marie ESCOFFIER, Sénateur RDSE de l'Aveyron, est intervenue jeudi 16 juin dans la discussion générale sur le projet de loi relatif aux soins psychiatriques (deuxième lecture).

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les décisions du Conseil constitutionnel rythment de plus en plus l'ordre du jour de notre assemblée ; la dernière décision du 9 juin 2011 sur deux questions prioritaires de constitutionnalité relatives à la conformité aux droits et libertés constitutionnelles des articles L.3213-1 et L. 3213-4 en est encore l'illustration.

Un équilibre a-t-il vraiment été trouvé dans le contrôle de l'œuvre législative ? Il est pour le moins légitime de se poser la question compte tenu de la situation difficile dans laquelle nous sommes, ayant à réexaminer un texte moins de huit jours après une décision constitutionnelle !

En tout cas, sans la première décision du Conseil constitutionnel, il est clair que le texte « Droits et protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques » ne serait pas venu devant nous. Nous appelions de nos vœux une grande loi de santé mentale pour répondre aux difficultés, voire aux drames vécus par des centaines de milliers de familles, aux interrogations légitimes des praticiens hospitaliers, pour résoudre de manière plus équilibrée la difficile équation : maladie, soins, contrainte et liberté.

Plus de vingt ans se sont écoulés depuis la loi de 1990. Le temps du bilan, de la réflexion, de la proposition avait été largement donné ; malgré cela, nous voilà contraints de légiférer une nouvelle fois dans l'urgence, ce qui n'est jamais bon, surtout quand est pratiqué l'amalgame entre dangerosité et troubles psychiatriques, ce qu'avait justement déploré en 2008 la Commission nationale consultative des droits de l'homme.

La seule finalité qui vaille est celle des malades et de ceux qui les soignent. Mais nous connaissons tous, ici, l'état catastrophique de ce secteur de santé et la raréfaction dramatique du nombre de médecins psychiatres hospitaliers, qui rendront quasiment impossible l'application pratique de cette loi.

Cette loi ne résout aucunement les vrais problèmes ; elle met en place une accumulation de procédures, dont l'enchevêtrement et la complexité sont contraires au titre même de ce projet de loi de « protection des personnes ».

La sagesse est de donner aux psychiatres hospitaliers les moyens de faire leur métier, c'est-à-dire de soigner les malades dans les meilleures conditions. Ce n'est pas la création d'un arsenal procédural, tant administratif que judiciaire, qui permettra d'atteindre cet objectif.

Nous sommes dans un domaine où la question de la préservation de la liberté individuelle est primordiale. À cette fin, comme vous l'avez dit, madame la secrétaire d'État, il convient de donner sens à la psychiatrie, de faciliter le travail au quotidien des praticiens hospitaliers et de simplifier les démarches et recours éventuels des patients contestant des mesures touchant à leur liberté.

La solution n'est certainement pas l'accroissement des pouvoirs des psychiatres, encore moins celui des directeurs d'hôpitaux et des préfets, et encore moins la jungle procédurale !

Le contrôle judiciaire est indispensable ; il n'a de sens que si les magistrats et leurs greffes sont en mesure de le réaliser. Or, nous le savons, les moyens ne leur en sont point donnés, ni en la forme ni au fond.

La solution raisonnable eut été, en l'état, de ne légiférer que sur la question du contrôle judiciaire imposé par les décisions du Conseil constitutionnel et de reprendre le travail sur la réforme au fond de la loi de 1990.

Certes, lors de la première lecture, le Sénat a permis d'infléchir le texte sur certains points.

Ainsi, nous nous étions longuement interrogés sur la notion de soins sans consentement sous une autre forme que l'hospitalisation complète. La suppression de cette modalité de soins, proposée par le rapporteur initialement désigné, Mme la présidente Muguette Dini, a tout d'abord été adoptée par la commission, avant de conduire au rejet du texte issu de ses travaux par la majorité.

Une rédaction de compromis a ensuite été adoptée en séance, sur l'initiative de notre excellent collègue Alain Milon et de M. le rapporteur Jean-Louis Lorrain. Elle met en exergue l'incapacité à consentir du malade et supprime la notion de formes de soins au profit de celle de lieux de soins. Les efforts déployés par nos collègues démontrent, s'il en est besoin, que, dans cet hémicycle, de nombreux élus sont mal à l'aise avec ce texte.

Quoi qu'il en soit, l'Assemblée nationale est revenue largement sur les avancées modestes que nous avions proposées, et nous sommes en droit, aujourd'hui, de nous inquiéter.

Chacun peut sans doute partager l'objectif de diversification des modes de prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux. Subsiste toutefois un trop grand nombre d'interrogations, à commencer par celle qui porte sur les moyens. Il est clair en effet que la mise en œuvre de ce nouveau dispositif exigera des besoins supplémentaires, puisque pas moins de six avis médicaux en une semaine, voire dix pour certains patients, seront nécessaires. Il faudra également désigner des référents et des accompagnants pour la gestion de la contrainte hors les murs. Sur le terrain, nous le savons tous, ce système est strictement irréaliste, la situation étant déjà extrêmement difficile dans certains établissements, en particulier dans le secteur psychiatrique.

L'extension de la notion de contrainte aux soins ambulatoires est, de surcroît, un contresens. Si la nécessité de l'hospitalisation sans consentement n'est pas contestable eu égard à la gravité de la maladie mentale, le soin lui-même passe par la parole et ne peut se concevoir sans le consentement des patients.

Nous attendions une grande loi sur la santé mentale, centrée sur la prise en charge du malade. Au lieu de cela, on nous apporte un texte qui n'est qu'assemblages de procédures complexes donnant prépondérance aux décisions administratives, un texte axé essentiellement sur l'aspect sécuritaire, alimentant l'exclusion et la stigmatisation de personnes qui auraient besoin, au contraire, de trouver leur place dans la cité, enfin un texte qui va freiner le processus de sortie des hospitalisations sous contrainte et compromettre la confiance des patients, qui fonde toute relation soignante.

Lisibilité, efficacité et applicabilité sont, de l'avis de nombre de membres de notre groupe - et cet avis me semble très largement partagé -, les trois vertus d'une loi. Or ces dernières sont absentes de ce texte. La meilleure preuve est que ce projet de loi est aujourd'hui rejeté tant par les praticiens et les associations de patients que par les magistrats eux-mêmes.

En conséquence, la très grande majorité de notre groupe votera contre ce projet de loi, certains d'entre nous s'abstenant

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