Absentéisme scolaire : pour Jacques MEZARD, une mauvaise réponse à un vrai problème
Pour Jacques MEZARD (sénateur PRG du Cantal), le gouvernement fait le procès des familles au lieu de celui d'une politique qui a échoué
Monsieur le ministre, vous apportez une mauvaise réponse à un vrai problème.
L'absentéisme est toujours la conséquence d'un dysfonctionnement personnel ou collectif, ou plus généralement des deux, d'une absence de prospective par rapport à l'évolution de la société. Or, mes chers collègues, ce problème existe dans toutes les activités humaines, y compris politiques, puis-je dire en regardant l'hémicycle de notre respectable assemblée...
En fait, on passe de l'absentéisme scolaire à la déscolarisation. Ce processus est particulièrement lourd de conséquences, car il obère gravement le déroulement du cursus de l'enfant, puis de l'adulte, dont la vie familiale et l'intégration dans la société seront le plus souvent très perturbées avec des effets néfastes sur la société elle-même.
Notre République s'est forgée en faisant de l'instruction un axe fondateur, le plus en adéquation avec sa devise, l'instrument du progrès humain, du progrès social.
Les hussards noirs de la République, l'arrivée à des postes de responsabilité d'enfants issus de milieux modestes, l'ascenseur social ne sauraient évoquer que des souvenirs. Tout cela constitue toujours le socle d'une action politique moderne.
Oui, nous sentons tous aujourd'hui que l'école de la République est fragilisée, que l'instruction a tendance à s'installer dans un système à deux ou à trois vitesses selon l'origine des parents, leurs ressources financières, leur lieu de résidence ! La progression de l'absentéisme scolaire est une réalité qui en découle directement, qui est la résultante des échecs en matière d'urbanisme, de mixité sociale, de politique de l'enseignement, d'accompagnement familial.
Familles monoparentales, nouvelles techniques de communication : l'évolution de la société n'a jamais été aussi rapide et le pouvoir politique n'a jamais eu autant de difficultés à l'anticiper, à l'assumer, voire à l'encadrer, dans le bon sens du terme. De tels textes n'intègrent pas, par exemple, le fait que nombre des élèves concernés sont majeurs.
D'ailleurs, ce qui caractérise la réponse des pouvoirs publics à l'absentéisme scolaire ces dernières années, ce sont l'impuissance, la contradiction et, pour finir, l'utilisation du traitement médiatique, dont les effets ne seront guère meilleurs que l'homéopathie, l'effet placebo en moins ... (Sourires sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
Monsieur le ministre, vous faites le procès des familles au lieu de faire celui d'une politique qui a échoué.
Lorsque l'on examine la situation de l'absentéisme scolaire, ce qui saute aux yeux, c'est la différence entre les filières d'enseignement et entre les territoires. Le taux d'absentéisme est considérablement plus élevé dans les lycées professionnels. Nous en connaissons tous les raisons : les difficultés des enseignants face à une concentration d'élèves en échec, l'image trop souvent négative de cette filière. C'est donc là qu'un effort spécifique doit être mené.
Le constat est d'autant plus difficile à réaliser que, comme M. le rapporteur le note lui-même, seuls 34 % des élèves absentéistes au collège sont signalés au motif que les « chefs d'établissement préfèrent sans doute une gestion au plus près du problème, sans intervention systématique de l'échelon administratif supérieur ». Est-ce bien raisonnable ?
Mettre en place des mesures à usage de communication médiatique ne saurait constituer une réponse appropriée au problème.
Tout d'abord, quelle est la législation en vigueur ? Celle-ci est-elle correctement utilisée ou tout simplement utilisée ?
L'article L. 131-1 du code de l'éducation, que nous connaissons tous, pose un principe clair : « L'instruction est obligatoire pour les enfants des deux sexes, français et étrangers, entre six ans et seize ans ». L'article L. 131-8, pour sa part, définit les obligations découlant de ce principe pour les responsables des enfants, dont la déclaration des motifs de l'absence.
C'est la suite qui pose problème. Nous savons que des incriminations pénales sanctionnent les manquements à l'obligation scolaire. En fait, ces textes ne sont aucunement appliqués, comme tant d'autres d'ailleurs, ce qui démontre au passage l'inanité absolue de l'avalanche de lois sécuritaires.
On ne peut faire abstraction de l'historique de ces six dernières années. Jusqu'en 2004, les parents d'enfants absentéistes pouvaient voir le versement de leurs allocations familiales suspendu. Cette procédure administrative, qui se déroulait sous le contrôle de l'inspecteur d'académie, était difficile à appliquer, des certificats médicaux ne facilitant pas forcément les choses. Reste qu'elle a tout de même concerné plusieurs milliers de cas, comme le rappelle l'auteur de la proposition de loi, puisque, la dernière année du gouvernement Jospin, plus de 7 000 suspensions ont été réalisées.
En 2004, l'article 3 de la loi relative à l'accueil et à la protection de l'enfance a abrogé le dispositif administratif de suppression des prestations familiales pour absentéisme. À l'époque, la commission des affaires sociales du Sénat n'était pas hostile « à l'abandon d'une mesure dont la pratique a montré le caractère inéquitable, la faible utilisation et l'efficacité douteuse ».
C'est ce dispositif vilipendé en 2004 que vous voulez rétablir aujourd'hui ! (Exclamations et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.) Je cite la commission de la culture : « Il convenait donc de ne pas se priver de cet instrument ». C'est une autre commission, mais la même majorité, me semble-t-il ...
Non, mon cher collègue, j'ai lu les conclusions de nos deux commissions !
En 2006, à l'occasion de l'examen du projet de loi pour l'égalité des chances, cette sanction a été réintroduite dans le cadre plus global du contrat de responsabilité parentale sous l'autorité des présidents de conseils généraux, sans résultat réel sur le terrain, sauf dans les Alpes-Maritimes, département exemplaire à tant d'égards, où M. le député Ciotti fête les cent cinquante ans du retour dans la nation avec un feu d'artifice de lois sécuritaires, dont celle-ci.
En réalité, ce texte constitue une volte-face par rapport aux lois de 2004 et 2006 qui émanent pourtant de la même majorité. Ses auteurs saisissent là l'occasion de faire le procès des conseils généraux qui n'appliqueraient pas la loi de 2006 pour, je cite M. Ciotti, « des raisons dogmatiques et idéologiques », alors que les départements ne peuvent ni ne doivent se substituer à l'État et pallier ses carences !
Davantage de péréquation des Hauts-de-Seine, voire des Alpes-Maritimes, vers les départements où sont concentrés les problèmes serait plus efficace ! (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste.)
Cette nouvelle proposition de loi a une vocation médiatique sécuritaire qui s'inscrit dans la droite ligne politique de son auteur. Sur le terrain, elle aura l'effet d'un cautère sur une jambe de bois, par sa lourdeur administrative, l'insuffisance des moyens humains d'accompagnement dans les secteurs difficiles, l'accentuation de la marginalisation des familles en difficulté, au lieu de cibler l'action sur les filières et les territoires les plus fragilisés.
L'auteur de la proposition de loi, qui est aussi son rapporteur devant l'Assemblée nationale, citait Victor Hugo. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Mesdames, messieurs les membres du groupe UMP, cela ne vous fait pas plaisir, je le sais, mais c'est la réalité : « Celui qui ouvre une école ferme une prison ». Or, aujourd'hui, le Gouvernement, dans nombre de départements, ferme les deux !
Vous l'aurez compris, pour toutes ces raisons, la grande majorité de notre groupe ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)